Le recours déposé par Amazon prend notamment acte des fortes réserves émises par la Commission européenne, qui pointe dans son avis circonstancié de multiples entorses au droit et à l’intérêt des consommateurs. En particulier, la Commission européenne dénonce une dérogation non justifiée à la législation applicable, l’absence de démonstration de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure proposée, ainsi que le fait qu’aucune option alternative n’ait été évaluée. Pour soutenir un réseau dense de librairies, des alternatives existent en effet qui ne pénaliseraient ni la lecture, ni le pouvoir d’achat des Français – par exemple la mise en place d’un tarif postal dédié, qui existe déjà pour les expéditions de livres vers l’étranger. Envoyer un livre de 500 grammes à Londres coûte ainsi 1,53€, alors que l’envoyer à une adresse française coûte quatre fois plus cher, à savoir 6€ pour une Lettre Verte.
En amont de la publication de son avis, la Commission européenne avait conduit une consultation publique qui a notamment permis de recueillir de nombreux témoignages et les inquiétudes de consommateurs, auteurs auto-édités et maisons d’éditions indépendantes. Ces contributions ainsi que celle d’Amazon sont publiques et en accès libre ici.
« Cette mesure soulève de nombreuses interrogations qui ont notamment été relayées par la Commission européenne. Elle va pénaliser les lecteurs, les auteurs et la lecture en général et nous appelons à faire valoir le droit dans l’intérêt des consommateurs. Cette mesure va porter un coup sévère au budget des Français et limiter leur accès aux livres à un moment où le pouvoir d’achat est une de leurs préoccupations premières. L’offre en ligne et celle des libraires sont en réalité complémentaires : près d’un livre sur deux vendu par Amazon est expédié vers des petites villes et campagnes, c’est-à-dire vers des territoires souvent dépourvus de librairies. »
Les librairies sont en effet très concentrées dans les grandes villes : Paris intra-muros compte ainsi plus de 20 % du total des librairies françaises, pour seulement 3 % de la population, et plus de 90 % des quelque 35 000 communes françaises n’ont pas de librairie sur leur territoire. Ainsi, 45% des Français qui achètent des livres en ligne le font en raison de l’éloignement des points de vente physiques (Ifop, 2021). Cette proportion atteint même 81% dans les communes rurales.
Des frais de livraison obligatoires fixés à 3€ représenteraient une hausse de 40% du coût d’acquisition d’un livre de poche à 7.50€. Sachant qu’il se vend chaque année plus de 400 millions de livres en France, dont 17 % en ligne selon une étude Kantar TNS Sofres pour le Ministère de la Culture, cette mesure représenterait un surcoût de plusieurs centaines de millions d’euros par an pour les lecteurs en France. Ils seraient alors confrontés à une alternative simple : renoncer à certains de leurs achats de livres et donc lire moins – ce que feraient 25 % des personnes interrogées par l’Ifop – ou alors supporter des coûts supplémentaires substantiels, soit en acquittant 3€ supplémentaires à chaque achat de livres, soit en prenant leur voiture ou d’autres moyens de transport pour se rendre en librairie, en grande surface spécialisée ou au centre commercial en fonction de l’offre disponible sur le territoire.
En plus de pénaliser le pouvoir d’achat des lecteurs, cette mesure risque d’entraver la diffusion des œuvres d’auteurs auto-édités et de petites maisons d’édition qui touchent leur public via la vente en ligne. En effet, l’offre de livres en ligne et celle des libraires sont complémentaires. Des millions de titres en français sont par exemple disponibles sur Amazon, alors que les librairies physiques offrent généralement une sélection de quelques milliers ou dizaines de milliers de titres. Amazon expédie une sélection 60% plus large d’ouvrages que l’ensemble des canaux de vente hors ligne, c’est-à-dire des librairies physiques de toute taille, magasins spécialisés, hyper et supermarchés réunis. Des coûts plus importants pour les consommateurs pour accéder à ces œuvres conduiraient à une baisse des ventes et des revenus pour ces auteurs et maisons d’édition.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la contribution d’Amazon à la consultation de l’ARCEP ici.
(1) L'arrêté du 4 avril 2023 peut être consulté ici : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047416860