Si le livre n’est pas un produit comme les autres, il n’échappe pour autant pas aux lois de l’économie. Augmenter le prix des livres en France ne pouvait que détourner les Français de la lecture. Selon l’Ifop, plus de la moitié des lecteurs français ont réduit leurs achats de livres neufs en raison de ces frais obligatoires. En 2024, le segment de marché français a diminué de 3% en volume pour la deuxième année consécutive selon GFK—la pire performance dans l'UE, et le nombre d’acheteurs de livres neufs a chuté de 10% en seulement un an. 

Cette mesure taxe la lecture et affecte de façon disproportionnée les Français qui font déjà face à des barrières géographiques et financières d'accès à la culture. C’est le cas des ménages les plus modestes et des 22 millions de Français qui vivent en zones rurales ou dans les plus de 90% de communes qui ne disposent pas de librairie de proximité, et qui doivent en conséquence supporter des coûts supplémentaires ou renoncer à leurs achats de livres.
 
Cette mesure a-t-elle pour autant bénéficié aux libraires ? Pas vraiment. Lorsque les lecteurs se déplacent dans des magasins physiques pour éviter les frais de port, seulement 26% d’entre eux privilégient des librairies indépendantes, tandis que 70% choisissent les hypermarchés et les grandes chaînes culturelles. Sur l’année 2024, les ventes ont continué de baisser en librairie. Et, après deux années de créations records de librairies en France, l’année 2024 – première année d’application complète de la loi Darcos – marque un net fléchissement de cette dynamique positive.
 
Qu’en retenir ? Le recul de la lecture en France doit unir la filière, et non pas la diviser. Les plus de 100 millions d'euros dépensés par les lecteurs Français en frais de port obligatoires auprès des différents détaillants de livres auraient pu financer davantage de lectures, au bénéfice des éditeurs, des auteurs et de la filière. 100 millions d’euros, cela représente 12 millions de livres de poche, et 3% du chiffre d'affaires annuel de l’édition en France. Cette mesure pénalise particulièrement les petits et moyens éditeurs indépendants ainsi que les auteurs qui s’appuient fortement sur les ventes en ligne pour atteindre leur public, limitant leur accès aux lecteurs, leur rayonnement et leur viabilité économique.
 
Deux ans après la mise en œuvre de cette mesure, nous devons donc nous recentrer sur l'essentiel : encourager la lecture partout et pour tous. Cela signifie s’appuyer à la fois sur les points d'accès physiques et sur la vente en ligne, plutôt que de les opposer, dans un contexte où la culture n’échappe pas aux fractures territoriales qui caractérisent l’archipel français. Un exemple : Paris à elle seule accueille 20% des librairies françaises pour seulement 3% de la population nationale. Dans ce contexte, une entreprise comme Amazon livre près de la moitié de ses livres vers les petites villes et zones rurales - précisément les citoyens les moins bien desservis par les librairies traditionnelles et les plus affectés par cette politique de frais de port.
 
Les politiques culturelles devraient refléter la réalité de la façon dont les gens accèdent aux livres aujourd'hui—et s’émanciper d’une vision manichéenne qui oppose sans fondement magasins physiques et offre en ligne, pour mieux soutenir l'accès aux livres de tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence.
 
La première étape consiste à prendre acte de ce que les données montrent clairement : en deux ans, les frais de port obligatoires ont nui aux lecteurs et la lecture dans l’Hexagone, et il est temps de trouver une meilleure voie pour soutenir l'avenir de la lecture de la France.
 
Explorons les alternatives qui permettent de concilier l’objectif de soutenir un vaste réseau de librairies indépendantes et d’assurer l'égalité d'accès à la culture. Une voie choisie par l’Espagne par exemple, qui a introduit récemment des frais de port préférentiels pour les envois postaux de livres, et où les ventes de livres ont progressé de 6% en un an.
 
Frédéric Duval est Directeur Général d'Amazon.fr.